Déclaration de Benguela
Nous, membres de la société civile angolaise ici présents, en notre nom et au nom des représentants d’organisations et personnes individuelles qui ont signé ce texte, déclarons être extrêmement préoccupés par la recrudescence d’expulsions forcées qui ont déjà eu lieu ou sont annoncées. Elles constituent une violation des droits des citoyens à une vie digne. C’est dans ce contexte que nous assumons une position claire en faveur du respect de la Constitution, des lois e des droits fondamentaux, raison pour laquelle nous nous déclarons fermement contre les expulsions perpétrées. Nous exigeons que les institutions de l’Etat, principales responsables de la garantie des droits de l’homme sur une base universelle, adoptent une politique de logement participative, juste et incluant les diverses groupes et classes sociales, autrement dit, adaptée à la réalité de la grande majorité des familles de ce pays.
Selon l’Observation Générale N.º 7 du Comité de l’ONU pour les Droits Economiques, Sociaux et Culturels, on entend par “expulsions forcées” “le fait de faire sortir des personnes, des familles et/ou des communautés des maisons et/ou des terres qu’elles occupent, de façon permanente ou provisoire, sans leur offrir de moyens appropriés de protection légale ou d’autre nature, ni leur permettre d’y accéder”. En outre, dans le même document, le Comité arrive à la conclusion que “les expulsions forcées sont prima facie incompatibles avec les conditions requises par le Pacte [International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels].”
Entre 2001 et 2007, des organisations locales et internationales ont documenté l’expulsion forcée de plus de 30 000 personnes. Une partie d’entre elles a vu leurs maisons démolies sans être préalablement prévenues, et encore moins consultées, sans protection légale ni logement alternatif adéquat. De nombreuses expulsions forcées ont été exécutées par des agents de la police, des membres des forces armées ou d’entreprises de sécurité privée, faisant un usage excessif de la force.
Le mois dernier, 3000 maisons ont été démolies dans la municipalité de Kilamba Kiaxi, à Luanda (capitale du pays), ce qui signifie l’expulsion forcée de 3000 familles, soit au moins 15 000 personnes. A Lobito, depuis février 2009, 250 familles vivant dans l’ancienne place du marché sont menacées d’expulsions. En prévision du CAN (Coupe d’Afrique des Nations) et de projets touristiques entre Benguela et Lobito (deux villes en bord de mer à 500 km au sud de Luanda), les administrations locales annoncent les futures expulsions de quartiers entiers, où vivent des milliers de familles. Elles n’ont pas encore été prévenues et aucune action de consultation n’est prévue. Beaucoup d’autres cas ont lieu dans différentes provinces, non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes où des terres sont confisquées des communautés locales, alors qu’elles survivent de l’agriculture de subsistance.
Pour cause de nombreux déplacements internes pendant la guerre, d’un système administratif défaillant et du manque d’une politique de logement en faveur des pauvres, entre autres facteurs, on estime qu’à Luanda par exemple, 75% des familles n’ont aucun titre officiel sur leurs maisons et leurs terrains. Parfois, comme dans le cas de certaines des familles vivant dans le marché de Lobito, celles-ci y ont été relogées par la propre administration municipale, mais sans que leur soit jamais donné un titre de propriété, les laissant ainsi vulnérables à de nouvelles expulsions, chaque fois que l’administration a besoin du terrain pour d’autres fins.
Les raisons officiellement données par le gouvernement, central ou local, pour ces expulsions, vont de la reconstruction du pays à la requalification des quartiers, en passant par les expropriations pour “utilité publique”, la préparation du CAN ou encore des investissements publics ou privés. Même si certaines de ces raisons peuvent être considérées comme justifiées et légitimes, il existe des normes internationales, reconnues par le système juridique angolais, qui réglementent la façon de mener des expulsions. Dans tous les cas, il est inacceptable que ce type de mesures soit systématique et jugé normal par le gouvernement, alors qu’il doit y recourir en dernière instance, et seulement après avoir organisé, entre autres conditions, des alternatives adéquates.
Nous sommes également préoccupés par d’autres facteurs qui nous font penser que cette vague d’expulsions forcées pourra augmenter et violer les droits de beaucoup d’autres familles, si des procédés adéquats ne sont pas adoptés. Nous parlons du nouveau Code Minier qui, s’il est approuvé comme il est présenté jusqu’à maintenant, transformera toutes les zones contenant des ressources minières, y compris celles destinées à la construction civile, en zones restreintes d’ où les populations locales devront être délogées. Nous pensons également à la mise en application de la Loi sur les Terres, dans le sens du peu qui est fait pour que les communautés rurales et les familles citadines enregistrent systématiquement leurs terres ou terrains, afin d’avoir une meilleure sécurité juridique dans le futur.
Nous parlons enfin des futurs grands investissements dans le pays, que cela soit pour la production de biocombustibles à Malanje, d’aluminium à Benguela, d’argent au Kwanza-Norte, de cuivre à Uíge[1] ou d’uranium dans le sud du pays. Ces investissements sont nécessaires et peuvent créer des emplois et de la croissance, mais si l’Etat angolais ne protège pas les familles qui vivent dans les zones visées, le nombre d’expulsions et confiscations de terres, sans alternatives ni compensations, pourra augmenter dans des proportions alarmantes au cours des prochaines années. Et, une fois de plus, la croissance économique ne sera pas accompagnée de développement social.
Il faut rappeler que dans son Article 2, la Loi Constitutionnelle angolaise en vigueur déclare que “la République d’Angola est un Etat démocratique de droit qui a comme fondamentaux”, entre autres, “la dignité de la personne humaine” et “le respect et la garantie des droits et libertés fondamentales de l’homme”. Son article 20 affirme que “l’Etat respecte et protège la personne et la dignité humaines”, et l’article 29, que “La famille, noyau fondamental de l’organisation de la société, est objet de protection de l’Etat”.
En outre, l’article 21 de la même loi reconnait que “les normes constitutionnelles et légales relatives aux droits fondamentaux doivent être interprétées et intégrées en harmonie avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, de la Carte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, et autres instruments internationaux auxquels l’Angola est partie”. De fait, Angola a ratifié la Carte Africaine en 1990 et les Pactes Internationaux relatifs aux Droits Civils et Politiques ainsi qu’aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels en 1992. En tant qu’Etat partie, l’Angola a accepté les obligations de respecter, protéger et réaliser les droits humains, y compris le droit à un logement adéquat.
Finalement, nous désirons rappeler que suite au passage en revue de l’Angola, en Novembre 2008, par le Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels, celui-ci a recommandé à l’Angola:
a) de prendre des mesures appropriées pour que les mesures d’expulsion ne soient prises qu’en dernier recours, et d’adopter des lois ou des directives définissant de façon stricte les circonstances et les garanties dans le cadre desquelles les expulsions peuvent avoir lieu, conformément à l’Observation générale no 7 du Comité sur le droit à un logement convenable (art. 11.1) et les expulsions forcées (1997);
b) d’enquêter sur toutes les allégations d’usage excessif de la force par des policiers et des agents de l’État participant aux expulsions forcées et de traduire en justice tous les responsables;
c) de s’assurer que chaque victime d’expulsion forcée bénéficie de mesures adéquates de relogement ou d’indemnisation et qu’il ou elle ait accès à un recours utile; et
d) de veiller à ce que toute expulsion forcée dans le cadre de la Coupe d’Afrique des Nations, manifestation sportive qui doit se tenir en 2010, soit conforme aux critères et directives énoncés dans l’Observation générale no 7. »
Dans ce contexte, et gardant en tête ces préoccupations pour le présent et le futur de notre pays:
1. Nous nous positionnons contre le recours systématique aux expulsions forcées, démolitions de maisons et expropriations de terres;
2. Nous appelons les gouvernements provinciaux à créer des commissions dans chaque municipalité, avec une ample participation de la société civile et de représentants de chaque quartier et communauté, pour discuter à l’avance de tous les plans de construction de logements, expulsions et relogements, et pour faciliter la réalisation de consultations et négociations au cas par cas;
3. Nous exigeons que les droits à l’information, à la participation et au recours juridique, tous reconnus par la Loi Constitutionnelle angolaise, soient respectés;
4. Nous demandons que le droit à un logement adéquat pour tous, qui inclue les composantes de sécurité juridique de l’occupation, habitabilité, accès aux services publics, accès physique et financier, localisation et adéquation à la culture, soit intégré à la nouvelle Loi Constitutionnelle du pays;
5. Nous appelons le Gouvernement à utiliser le droit au logement comme base des politiques, programmes et budgets liés au logement, à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, qui doivent systématiquement contenir une composante en faveur des pauvres afin de commencer à inverser le cadre des inégalités sociales dans notre pays;
6. Nous appelons également le Gouvernement à respecter le droit au logement et tous les autres droits humains dans les décrets qu’il promulgue, ainsi que dans ses accords bilatéraux et multilatéraux avec d’autres pays;
7. Nous recommandons enfin que la Rapporteur Spéciale de l’ONU pour un Logement Adéquat soit officiellement invitée par le Gouvernement d’Angola, afin de pouvoir entrer dans un dialogue constructif avec celui-ci et l’aider à respecter ses obligations de respect, protection et réalisation du droit au logement.
Benguela, 20 Aout 2009
[1] Tous ces noms correspondent à des provinces de l’Angola.
Selon l’Observation Générale N.º 7 du Comité de l’ONU pour les Droits Economiques, Sociaux et Culturels, on entend par “expulsions forcées” “le fait de faire sortir des personnes, des familles et/ou des communautés des maisons et/ou des terres qu’elles occupent, de façon permanente ou provisoire, sans leur offrir de moyens appropriés de protection légale ou d’autre nature, ni leur permettre d’y accéder”. En outre, dans le même document, le Comité arrive à la conclusion que “les expulsions forcées sont prima facie incompatibles avec les conditions requises par le Pacte [International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels].”
Entre 2001 et 2007, des organisations locales et internationales ont documenté l’expulsion forcée de plus de 30 000 personnes. Une partie d’entre elles a vu leurs maisons démolies sans être préalablement prévenues, et encore moins consultées, sans protection légale ni logement alternatif adéquat. De nombreuses expulsions forcées ont été exécutées par des agents de la police, des membres des forces armées ou d’entreprises de sécurité privée, faisant un usage excessif de la force.
Le mois dernier, 3000 maisons ont été démolies dans la municipalité de Kilamba Kiaxi, à Luanda (capitale du pays), ce qui signifie l’expulsion forcée de 3000 familles, soit au moins 15 000 personnes. A Lobito, depuis février 2009, 250 familles vivant dans l’ancienne place du marché sont menacées d’expulsions. En prévision du CAN (Coupe d’Afrique des Nations) et de projets touristiques entre Benguela et Lobito (deux villes en bord de mer à 500 km au sud de Luanda), les administrations locales annoncent les futures expulsions de quartiers entiers, où vivent des milliers de familles. Elles n’ont pas encore été prévenues et aucune action de consultation n’est prévue. Beaucoup d’autres cas ont lieu dans différentes provinces, non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes où des terres sont confisquées des communautés locales, alors qu’elles survivent de l’agriculture de subsistance.
Pour cause de nombreux déplacements internes pendant la guerre, d’un système administratif défaillant et du manque d’une politique de logement en faveur des pauvres, entre autres facteurs, on estime qu’à Luanda par exemple, 75% des familles n’ont aucun titre officiel sur leurs maisons et leurs terrains. Parfois, comme dans le cas de certaines des familles vivant dans le marché de Lobito, celles-ci y ont été relogées par la propre administration municipale, mais sans que leur soit jamais donné un titre de propriété, les laissant ainsi vulnérables à de nouvelles expulsions, chaque fois que l’administration a besoin du terrain pour d’autres fins.
Les raisons officiellement données par le gouvernement, central ou local, pour ces expulsions, vont de la reconstruction du pays à la requalification des quartiers, en passant par les expropriations pour “utilité publique”, la préparation du CAN ou encore des investissements publics ou privés. Même si certaines de ces raisons peuvent être considérées comme justifiées et légitimes, il existe des normes internationales, reconnues par le système juridique angolais, qui réglementent la façon de mener des expulsions. Dans tous les cas, il est inacceptable que ce type de mesures soit systématique et jugé normal par le gouvernement, alors qu’il doit y recourir en dernière instance, et seulement après avoir organisé, entre autres conditions, des alternatives adéquates.
Nous sommes également préoccupés par d’autres facteurs qui nous font penser que cette vague d’expulsions forcées pourra augmenter et violer les droits de beaucoup d’autres familles, si des procédés adéquats ne sont pas adoptés. Nous parlons du nouveau Code Minier qui, s’il est approuvé comme il est présenté jusqu’à maintenant, transformera toutes les zones contenant des ressources minières, y compris celles destinées à la construction civile, en zones restreintes d’ où les populations locales devront être délogées. Nous pensons également à la mise en application de la Loi sur les Terres, dans le sens du peu qui est fait pour que les communautés rurales et les familles citadines enregistrent systématiquement leurs terres ou terrains, afin d’avoir une meilleure sécurité juridique dans le futur.
Nous parlons enfin des futurs grands investissements dans le pays, que cela soit pour la production de biocombustibles à Malanje, d’aluminium à Benguela, d’argent au Kwanza-Norte, de cuivre à Uíge[1] ou d’uranium dans le sud du pays. Ces investissements sont nécessaires et peuvent créer des emplois et de la croissance, mais si l’Etat angolais ne protège pas les familles qui vivent dans les zones visées, le nombre d’expulsions et confiscations de terres, sans alternatives ni compensations, pourra augmenter dans des proportions alarmantes au cours des prochaines années. Et, une fois de plus, la croissance économique ne sera pas accompagnée de développement social.
Il faut rappeler que dans son Article 2, la Loi Constitutionnelle angolaise en vigueur déclare que “la République d’Angola est un Etat démocratique de droit qui a comme fondamentaux”, entre autres, “la dignité de la personne humaine” et “le respect et la garantie des droits et libertés fondamentales de l’homme”. Son article 20 affirme que “l’Etat respecte et protège la personne et la dignité humaines”, et l’article 29, que “La famille, noyau fondamental de l’organisation de la société, est objet de protection de l’Etat”.
En outre, l’article 21 de la même loi reconnait que “les normes constitutionnelles et légales relatives aux droits fondamentaux doivent être interprétées et intégrées en harmonie avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, de la Carte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, et autres instruments internationaux auxquels l’Angola est partie”. De fait, Angola a ratifié la Carte Africaine en 1990 et les Pactes Internationaux relatifs aux Droits Civils et Politiques ainsi qu’aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels en 1992. En tant qu’Etat partie, l’Angola a accepté les obligations de respecter, protéger et réaliser les droits humains, y compris le droit à un logement adéquat.
Finalement, nous désirons rappeler que suite au passage en revue de l’Angola, en Novembre 2008, par le Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels, celui-ci a recommandé à l’Angola:
a) de prendre des mesures appropriées pour que les mesures d’expulsion ne soient prises qu’en dernier recours, et d’adopter des lois ou des directives définissant de façon stricte les circonstances et les garanties dans le cadre desquelles les expulsions peuvent avoir lieu, conformément à l’Observation générale no 7 du Comité sur le droit à un logement convenable (art. 11.1) et les expulsions forcées (1997);
b) d’enquêter sur toutes les allégations d’usage excessif de la force par des policiers et des agents de l’État participant aux expulsions forcées et de traduire en justice tous les responsables;
c) de s’assurer que chaque victime d’expulsion forcée bénéficie de mesures adéquates de relogement ou d’indemnisation et qu’il ou elle ait accès à un recours utile; et
d) de veiller à ce que toute expulsion forcée dans le cadre de la Coupe d’Afrique des Nations, manifestation sportive qui doit se tenir en 2010, soit conforme aux critères et directives énoncés dans l’Observation générale no 7. »
Dans ce contexte, et gardant en tête ces préoccupations pour le présent et le futur de notre pays:
1. Nous nous positionnons contre le recours systématique aux expulsions forcées, démolitions de maisons et expropriations de terres;
2. Nous appelons les gouvernements provinciaux à créer des commissions dans chaque municipalité, avec une ample participation de la société civile et de représentants de chaque quartier et communauté, pour discuter à l’avance de tous les plans de construction de logements, expulsions et relogements, et pour faciliter la réalisation de consultations et négociations au cas par cas;
3. Nous exigeons que les droits à l’information, à la participation et au recours juridique, tous reconnus par la Loi Constitutionnelle angolaise, soient respectés;
4. Nous demandons que le droit à un logement adéquat pour tous, qui inclue les composantes de sécurité juridique de l’occupation, habitabilité, accès aux services publics, accès physique et financier, localisation et adéquation à la culture, soit intégré à la nouvelle Loi Constitutionnelle du pays;
5. Nous appelons le Gouvernement à utiliser le droit au logement comme base des politiques, programmes et budgets liés au logement, à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, qui doivent systématiquement contenir une composante en faveur des pauvres afin de commencer à inverser le cadre des inégalités sociales dans notre pays;
6. Nous appelons également le Gouvernement à respecter le droit au logement et tous les autres droits humains dans les décrets qu’il promulgue, ainsi que dans ses accords bilatéraux et multilatéraux avec d’autres pays;
7. Nous recommandons enfin que la Rapporteur Spéciale de l’ONU pour un Logement Adéquat soit officiellement invitée par le Gouvernement d’Angola, afin de pouvoir entrer dans un dialogue constructif avec celui-ci et l’aider à respecter ses obligations de respect, protection et réalisation du droit au logement.
Benguela, 20 Aout 2009
[1] Tous ces noms correspondent à des provinces de l’Angola.
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